Les dossiers 12 bis et 43 mis sous pli et prêts à être envoyés sous le bras, je me dirigeais à grand pas vers la poste de la ville. Je devais impérativement envoyer ces derniers en triple exemplaires, ratifiés, avec la fermeture du bureau de poste puisque la levée du courrier avait lieu au petit matin. J'aurais bien voulu m'y prendre au moins plus tôt mais, à cause de Gros-câlin qui avait gobé ma gomme en la prenant pour une souris, j'avais passé la journée chez le vétérinaire. Je consultais ma montre automatique tous les quinze pas, effrayé par la trotteuse qui avançait bien plus vite que moi. D'ici trois minutes, il serait trop tard. J’accélérais la cadence, me faufilais entre les passants qui flânaient, peu soucieux de ma détresse... Mes joues à l'ordinaire immaculées se teintaient peu à peu de rouge et de petites gouttes de sueur, à la fois dues à l'anxiété et à l'accélération, perlaient sur mon front.

Pourquoi tout le monde sortait-il alors que les magasins ferment? J'avais toujours soigneusement évité les heures d'affluence, mais avais-je le choix aujourd'hui? Le dossier 12 bis était d'une importance capitale. Que ferait l'entreprise si elle ne le recevait pas à temps? La proportion des dames de soixante-dix à quatre-vingts ans préférant la canne au déambulateur était d'une importance capitale!

Je continuais d'avancer sous le lourd couvercle de nuage lorsque j'aperçus le bureau de la poste. Soulagé, je m'apprêtais à entrer lorsque, le soulevant, je remarquais que le dossier 43 était étonnamment léger. Un coup d’œil me suffit à comprendre: j'avais oublié de fermer l'enveloppe et mes feuillets s'étaient échappés. Mais où donc, dans cette foule de gens? Je me mis à quatre pattes, au risque de tâcher ma cravate qui frôlait le sol, pour tenter d'apercevoir mon précieux travail au sol, mais les jambes des passant ne cessaient de bouger, de piétiner, ne me laissant aucun point de repère. Une bouffée de désespoir me traversa mais je savais que j'étais un professionnel. Je me mis à ramper au sol, mes mains esquivant avec talent les talons aiguilles, pour me faufiler dans la mare des passant à la recherche de mon dossier.